Avant de parler de climatiseurs, de fluide frigorigène, de mono-split, multi-split, etc. je pense qu'il faut tout d'abord faire un point afin de voir d'où nous partons. Si la climatisation est récente, le besoin de produire du froid a toujours été présent dans le but premier de conserver des aliments, mais aussi pour un certain confort du lieu de vie. Ainsi, des blocs de glace récoltés dans les montagnes étaient entreposés dans de profonds puits afin d’être conservés pendant l'été entier. Ceux-ci étaient utilisables pour rafraîchir et conserver des aliments.
Les principaux matériaux de construction et architectures utilisés en bâtiments reposent sur l’acquis de la réfrigération artificielle et de la VMC (Ventilation Mécanique Contrôlée). Il est d’ailleurs obligatoire pour les architectes de répondre aux normes de RT 2012 en France (Réglementation Thermique 2012, bientôt 2020) qui intègrent des VMC dans les modèles de construction. Dans les matériaux de construction, le béton n’a qu’un temps réduit de déphasage thermique (quatre heures). Le déphasage thermique signifie qu’une matière, le béton dans ce cas, emmagasine de la chaleur ou de la fraîcheur et commence à la restituer au bout de quatre heures. Le béton n’a donc pas le temps de garder la fraîcheur de la nuit en été et la chaleur du jour en hiver. Pourtant, ce matériau très utilisé est très facile à appliquer et permet d’ériger des immeubles en quelques mois seulement. Se pose ici une question : si l’air conditionné n’existait pas, comment concevrions-nous ces bâtiments ?
Le besoin du renouvellement de l'air est venu avec les hygiénistes afin d’assainir les intérieurs. « Il faut dire qu'à cette époque, les microbes étaient tout neufs puisque le grand Pasteur venait à peine de les inventer » comme dirait Marcel Pagnol.
Paulette Bernege (1896 - 1973), dans la lignée des rationalistes du travail domestique et disciple de Christine Frédérick, avait déjà compris à cet époque que les réseaux internes aux habitations allaient s'intensifier. Dans son article « Le tuyau, éléments essentiel de civilisation » elle propose une vision personnifiée de la maison, « Nous devons considérer la maison [...] comme un être réellement vivant qui mange, qui rejette, qui sent, qui agit et dont nous sommes une partie, une cellule2 ». Je pense que ce parallèle à un être vivant est tout à fait judicieux. À cela je rajouterai que la maison « respire », le problème est que dans nos maisons la respiration est artificielle (terme aussi employé dans le domaine médical en réanimation ou en aide à la respiration). Donc si l’on veut faire le parallèle jusqu’au bout, un immeuble de ville en béton serait constamment sous soin palliatif en attendant une coupure de courant fatale qui ferait déserter ses occupants.
Avec environ 15000 morts en France la canicule de 2003 a laissé un imaginaire bien pessimiste sur la chaleur des années à venir. Les personnes âgée déshydratées ont rapidement débordé les hôpitaux et le personnel soignant. Suite à cette échec le gouvernement français à mis en place le plan canicules en 2004 qui se décompose en quatre niveaux3 :
1 – Veille saisonnière entre le 1 juin et le 31 août de chaque année.
2 – Avertissement chaleur, c'est une préparation à la suite de la vague de chaleur annoncée par le météo-France.
3 – Ici c'est l'alerte canicule qui commence en se basant sur la carte de météo-France, de grandes actions sont mises en place sous mesure de prévention.
4 – La mobilisation maximale est la dernière étape de ce plan qui est appliqué aux canicules « très intense et durable », et quand de nombreux endroit sont touché.
Ce qu’il est intéressant de noter est l'omniprésence des astuces et procédés4 faciles à mettre en place que le gouvernement propose en cas de forte chaleur comme mettre des rideaux mouillés aux fenêtres ou encore enfiler un tee-shirt mouillé, ce qui est très judicieux car ces principes utilisent l'évapotranspiration qui permet de rafraîchir à moindre coût. Cela a donc été pensé pour des cas où les personnes n'ont pas forcément accès à des climatiseurs.
Pourtant on peut aussi remarquer une méconnaissance des dispositifs de réfrigération car le gouvernement propose de mettre des glaçons devant les entrés d'air, ce qui est contre productif car l’énergie utilisée est donc rejetée dans l'atmosphère. En fin de compte l'air n'est pas refroidi : la chaleur produite par les composants du réfrigérateur ou congélateur est plus grande que le froid obtenu.
Au lieu d'une prise de conscience au niveau architectural et au niveau d'habitudes de vies, la canicule de 2003 a plutôt provoqué une envie pressante d'acheter un climatiseur5. Il est à mon avis clair que le besoin en fraîcheur est évident, les risques sont bien présents et le rafraîchissement du lieu de vie est, plus qu'un confort, une nécessité vitale pour les plus vulnérables pour contrer l'hyperthermie. Cependant ceci ne témoigne que d'une chose, c'est que les bâtiments ne sont pas conçus pour faire face aux trop grandes températures, d'où le pic d'achat de climatiseurs après 2003.
L’afflux de morts pendant la canicule de 2003 avait surchargé les Pompes funèbres qui ne savaient pas où mettre les corps avant les inhumations. Le gouvernement sous Jacques Chirac avait promis une prise en compte de la canicule pour améliorer le système de soin français. Et pourtant, dix-sept ans après, avec la crise du COVID-19, les hôpitaux et services funéraires se retrouvent de nouveau surchargés6, preuve que les erreurs passées ne servent pas toujours au présent.
Après 2003 que se passe-t-il ? Canicules en 2006, en 2017 et en 2019. Le temps de canicule par quart de siècle à doublé depuis l'an 20007. Le GIEC annonce une augmentation de température de 4,8°C aux environs 21008 si nous ne faisons rien, sachant qu'a partir d’une augmentation de 3°C, des boucles de rétroaction positive se manifestent et il est difficile de savoir quels effets cela peut avoir. Dans le meilleur des cas nous pourrions rester à une augmentation de température de 1,5°C, ce qui est déjà dramatique pour les écosystèmes. Cela augmentera inévitablement les températures d'été. Il est évident que si la température augmente, le marché de la climatisation augmentera aussi, ce qui est une très mauvaise chose puisque les climatiseurs sont eux-même une des causes du réchauffement climatique. Pourtant il y aura une demande au niveau des dispositifs rafraîchissants à laquelle il faudra répondre, car les plus fragiles seront les plus touchés par ces chaleurs.
Malheureusement l'impact de cette augmentation de température sur les climatiseurs fera que ceux-ci consommeront plus dans le meilleur des cas et ne pourront plus fonctionner dans le pire. Si la température augmente à plus de 40-45°C les climatiseurs ne seront plus suffisants pour rafraîchir l'air en dessous des 30°C en intérieur. Il me semble donc important de trouver des systèmes complétant les climatiseurs afin de se reposer un peu moins sur ceux-ci.
Les pays les plus consommateurs en énergie ont épuisé la quasi totalité des ressources faciles d’accès. Il reste encore beaucoup de réserves mais de plus en plus difficiles à atteindre avec un coût d'exploitation de plus en plus cher et des méthodes de plus en plus polluantes (le gaz de schiste par exemple). Le peak oil a été ou va être franchi (il y a encore certains débats sur le sujet) et nous allons subir une décroissance, mais malheureusement ce n'est pas assez tôt qu'il n'y aura plus de pétrole ou de charbon. Les réserves restantes sont amplement suffisantes pour rendre la Terre inhabitable si nous continuons à les utiliser. Subi ou accompagné, nous allons vers un effondrement de la civilisation, c'est-à-dire : « [Un] processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie, mobilité, sécurité) ne sont plus fournis à une majorité de la population par des services encadrés par la loi. »9 Cela ne veut donc pas dire la fin du monde mais la fin d'une société basé sur l'exploitation de ressources. Nous devons donc changer complètement nos paradigmes de production à échelle mondiale pour anticiper ces changements, afin de tomber de moins haut lorsqu'ils arriveront.
Il est important de ne pas rester dans l'imaginaire de l’anthropocène et de l'effondrement, car cela peut provoquer des états de sidération et / ou de déni face à la situation. C'est pour cela que je ne souhaite pas faire d'objet moralisateur qui ferait seulement prendre conscience du problème. Au fil de ce mémoire je tiens à rendre compte des multiples solutions qui existent pour mettre en place le post-fossile. Il est évident que les êtres humains ne pourront pas continuer à vivre de cette manière durablement. Dans un espace aux ressources limitées avec une population qui augmente, l'extrême l'utilisation de ces ressources engendre obligatoirement un effondrement. Pourtant si le mot « effondrement » peut faire peur cela n'est pas nécessairement une mauvaise chose. L’effondrement de l'économie et de l'industrie sera un problème et amènera de graves conséquences, mais cela entraînera aussi une potentielle résurrection des milieux et une vision du monde bien moins mécanisée.
Si l'humain a connu une folle croissance ce dernier siècle c'est grâce aux énergies fossiles, si nous courrons à notre perte c'est à causes de leur utilisation exponentielle. C'est pour cela que je prône un retour au techniques ancestrales et au low-tech. Pourquoi créer des éoliennes qui nécessitent du matériel conséquent et des métaux rares (comme le néodyme) pour la construction d'alternateurs et la production d’énergie « verte » alors que nous pourrions directement utiliser l’énergie mécanique du vent en guise de moteur ? Je connais bien la réponse : moins de rendement, moins de souplesse quant au temps d'utilisation des machines mais quel gain d’énergie ! Notons bien que l’énergie électrique éolienne, comme l’hydraulique et le solaire sont indispensable pour être moins dépendants aux énergies fossiles mais il faut aussi comprendre qu'il n'est pas possible de mettre en place ces énergies sans pétrole, c'est donc aussi un cercle vicieux.
Je ne souhaite donc pas que mon projet consomme une quelconque énergie (ou bien très peu) pour la fabrication et c'est pour cela que je compte prendre exemple sur d'anciennes techniques. Les Tours de vent sont clairement des architectures répondant au besoins des habitants locaux et n’utilisant aucune énergie.
La conception de la climatisation (et d'autres objets actuels, mais ce n'est pas le propos ici) se repose beaucoup trop sur l'acquis de ressources « infinies ». Cela à pour effet d'appauvrir la conception et les objets qui se complexifient d'une manière qui nous desservira en cas de pénurie d'énergie. Nous avons en quelque sorte perdu l’intelligence de la simplicité.
En tant qu’étudiant en design je souhaiterais aborder la question de la climatisation en déplaçant les approches de solutions individualisées (dans le cadre de l’utilisation d’un climatiseur) à des solutions qui prennent en compte le collectif et donc qui sortent des limites d’un air conditionné pour une pièce, un immeuble. Car en effet ce n’est pas une technologie individualisée plus efficiente qui résoudra le problème : ceux qui n’auront pas les moyens pour se procurer un climatiseur n’auront toujours rien et ceux qui le peuvent continueront d’en utiliser sans se poser plus de questions. Sauf bien sur si cette solution individuelles ne consomme strictement rien, ce qui n'est pas le cas dans les systèmes existant. Je pense cela sans accuser les utilisateurs et utilisatrices de climatiseur d’une mauvaise conduite mais en dénonçant le fait que ces dispositifs de climatisation poussent à une conduite individualisée qui pollue sans tenir compte des affinités de chacun.e.s, que ce soit dans la pièce réfrigérée où à l'extérieur des bâtiments. Afin de proposer un projet pertinent, je pense qu’il est important de sortir du paradigme de la réfrigération tel qu’on l’envisage aujourd’hui pour aller vers des objectifs plus modestes avec plus résilience.
Un mot qui est souvent revenu dans mon dialogue avec l’architecte Leslie Concalvez est celui de la frugalité. C'est, à mon avis, ce vers quoi les designers, ingénieurs, architecte, etc. doivent se tourner pour les créations à venir : trouver des moyens de faire plus avec moins. Je ne parle pas ici de la célèbre phrase « Less is more » de Ludwig Mies van der Rohe qui s'appuie sur un aspect plutôt esthétique, mais d'un principe qui nous ferait aller a l'essentiel pour créer des système moins complexes mais toujours très fonctionnels. La maison certifiée la plus écologique ne le sera pas si elle est équipée de tout une domotique superflue. Car, rappelons-le, toute énergie économisée est une énergie que l'on ne consomme pas.
J'aimerais aborder la situations de vie des employé.e.s de bureau10. Dans les bureaux, ou lieux de travail fermés, où plusieurs personnes sont actives, les températures ne peuvent pas être gérées individuellement. Ce sont soit des technicien.e.s CVC (Chauffage, Ventilation, Climatisation) qui s'occupent de régler des températures moyennes (dans le cas de grandes infrastructures comme les hôpitaux par exemple), soit les employé.e.s eux/elles-même qui règlent la température de leur locaux. Cela pose un problème dans les deux cas puisque ces températures ne peuvent pas être LA température de confort de chaque personne présente.
Je souhaiterais faire un dispositif qui améliore les conditions de travail en période de forte chaleur. Ce sera sûrement un dispositif rafraîchissant mais pas nécessairement, il pourra aussi être responsabilisant. Il faudra que ce soit utilisable au travail en intérieur en premier lieu, puis adaptable à d’autres endroits en tenant compte du contexte. Tout ceci pendant l’été et plus particulièrement pendant les périodes de fortes chaleurs. Ce sera un objet créé pour éviter de devoir acheter et utiliser un climatiseur, pour celles et ceux qui n’y ont pas accès ou qui ne peuvent pas en installer. Un objet pour se rafraîchir là où on ne peut pas choisir sa méthode de rafraîchissement et pour suppléer la climatisation artificielle, voire la remplacer. Je ferai en sorte que l'objet n'ait qu'une faible consommation en énergie et, au mieux, aucune consommation, et qui soit fabriqué avec des matériaux non polluants et biodégradables si possible, sinon en matériaux recyclés. J'aimerais particulièrement travailler avec la terre crue, la pierre et l’eau. Il faudra que cet objet soit portable, ou du moins transportable, pour les travailleur.euse.s au bureau qui n’ont pas accès à une quelconque climatisation.
Pour débuter mon projet j'ai commencé par explorer plusieurs piste et par recopier des systèmes DIY déjà existant. J'ai fait cela tout d'abord pour voir si ces systèmes fonctionnaient et ensuite pour voir s’il n'était pas possibles de les améliorer pour en faire mon projet.
Je me suis donc mis à fabriquer des petits climatiseurs, à tester la chaleur au contact de certain matériaux et à démonter des ventilateurs. Le but du démontage était de voir l'intérieur du mécanisme pour le comprendre et de voir aussi la difficulté au démontage. J'aurai aussi souhaité démonter un vrai climatiseur mais je n'en ai pas trouvé en décharge.